Jour noir...
Elle nous a quittés cette nuit, en catimini, sans faire de vagues, sans gêner personne, sans rien réclamer, comme elle a vécu...
Manou et son arrière-petite-fille Alice, avril 2009.
Je n'oublierai pas les week-ends, les vacances passés auprès d'elle.
Je n'oublierai pas son incroyable patience lors des parties de jeu de crapette interminables où je metttais des heures à poser les cartes, où elle me laissait gagner pour le plaisir de m'entendre crier "crapette!" avec une mine réjouie.
Je n'oublierai pas les milliers de fois où nous lui avons fait ouvrir son médaillon parce qu'il y avait à l'intérieur une photo de mon grand-père tout jeune et que ça nous amusait tellement.
Je n'oublierai pas le délicieux pain perdu qu'on lui réclamait et qu'elle nous servait en dessert, et qui faisait toujours dire à mon grand-père que c'était un dessert de pauvre qu'on appelait autrefois du "pain crotté" (fous-rires assurés).
Je n'oublierai pas la berceuse qu'elle nous chantait parfois le soir, en se faisant prier parce que, disait-elle, elle chantait faux, et qui parlait d'une poupée.
Je n'oublierai pas sa patience à vider et faire frire les petits poissons que nous lui rapportions des parties de pêche en Loire, quel délice!
Je n'oublierai pas le bruit infernal que nous faisions à l'heure du café pour fabriquer la "mousse de café" avec un sucre humecté et du Nescafé fouettés à la cuillère à toute vitesse pendant un temps assez long, de son sourire en coin devant notre plaisir de lui montrer le résultat.
Je n'oublierai pas sa colère froide la fois où ma soeur et moi avions fait une grosse bêtise, de la façon dont elle nous a ramenées au lit sans un mot, ce qui vaut toutes les paroles du monde et fait qu'aujourd'hui encore j'ai honte en y repensant!
Je n'oublierai pas qu'elle n'omettait jamais, à Paris, de recouvrir d'un drap le buste en plâtre (Ambroise Paré?) qui trônait dans le bureau de mon grand-père, où nous couchions, parce qu'il nous faisait peur dans la semi-obscurité... et que ça nous faisait encore plus peur de voir cette sorte de fantôme mais que nous n'osions pas le lui dire!
Je n'oublierai pas le voyage en Crète qu'elle m'avait offert pour mon bac, et le jour où elle a plongé dans la piscine de l'hôtel, d'un seul coup, sans même tâter la température de l'eau, et où l'on m'a demandé son âge: "Elle a 70 ans, pourquoi?" Du haut de mes 16 ans et demi, je ne comprenais pas ce que ça avait d'exceptionnel, j'étais habituée à sa forme physique hors du commun!
Je n'oublierai pas son bonheur à tenir mes enfants tout-petits dans ses bras, le sourire lumineux qu'elle leur adressait, parce qu'elle aimait énormément les bébés et les petits enfants, sans l'avouer évidemment.
Je me souviendrai de cette très grande pudeur qui a fait dire à beaucoup qu'elle était froide, mais sous laquelle transparaissait tant d'affection pour les siens et sa fierté d'être grand-mère et arrière-grand-mère.
Ma grand-mère, la dernière représentante de sa génération...
Ma très chère Manou, je ne t'oublierai pas...